Par John Chan, 24 mai 2007, WSWS
Le marché boursier chinois, déjà survolté, a atteint de nouveaux sommets la semaine dernière. Le 9 mai, il a enregistré un volume d’échange journalier supérieur à tous les autres marchés asiatiques pris ensemble, y compris celui du Japon, la deuxième économie mondiale.
Selon le Financial Times, la valeur des actions traitées quotidiennement sur les marchés de Shanghai et de Shenzhen était de 5 milliards de dollars il y 6 mois. Le 30 mars, il est arrivé à hauteur de 16,4 milliards de dollars. Mercredi dernier, il a atteint 49 milliards de dollars - soit le double de celui du Japon et le triple des marchés combinés d’Australie, Hong Kong, Thaïlande, Singapour, Malaysie, Corée, Inde, Taiwan, Indonésie, Nouvelle-Zélande et Vietnam.
Même si cela ne correspondait qu’à moins de la moitié des 122 milliards d’actions traitées aux USA le 8 mai, le marché chinois des actions a éclipsé le volume échangé en Grande-Bretagne qui était de 29,4 milliards. En même temps, la capitalisation totale des bourses de Shanghai et Shenzhen, à 2200 milliards de dollars, est encore bien inférieure à celle du Japon qui est au niveau de 4700 milliards, et huit fois moins importante que celle des USA, qui est de 16 500 milliards.
Mais la montée rapide de la bourse chinoise n’est pas sans conséquence. En moins de deux mois, l’index agrégé de Shanghai est passé de 3000 à 4000 points. A ces hauteurs vertigineuses, on craint qu’une « correction » soudaine, violente, ait de profondes conséquences non seulement en Chine, mais au niveau international.
Fin février, une chute de 9 pour cent de la bourse de Shanghai avait déclenché une réaction en chaîne dans le monde entier, touchant même Wall street, qui avait subi sa plus grande baisse en un jour depuis les attentats du 11 septembre. Deux mois plus tard, un effondrement boursier en Chine pourrait provoquer une onde de choc internationale bien plus importante.
Même si la bulle spéculative actuelle concerne surtout des actions de classe A, réservées aux investisseurs locaux, presque tous les économistes ont fait état de risques pour toute l’économie chinoise. Pendant que le PIB chinois a augmenté de 10 pour cent l’an dernier, le principal marché actionnaire de Shanghai a crû lui, de 130 pour cent. Il a encore monté de 50 pour cent cette année.
Le ratio de rentabilité des actions chinoises est actuellement d’environ 50, comparé à 14-18 en moyenne pour le reste de l’Asie. Autrement dit, les prix payés pour les actions chinoises sont totalement hors de proportion avec les bénéfices des entreprises concernées. Malgré les avertissements répétés de la banque centrale, de membres du gouvernement et des économistes, la valeur des actions a continué de grimper.
Parmi ceux qui participent à cette frénésie d’achat boursier, il y a les classes moyennes des centres urbains, mais aussi des armées de travailleurs ordinaires ; ainsi quelque 300 000 à 500 000 comptes boursiers sont ouverts tous les jours. Fin mars, les investisseurs institutionnels comme les banques ne comptaient que pour 23,3 pour cent dans la capitalisation boursière totale, le reste n’étant que des petits investisseurs.
A la date du 10 mai, le nombre d’investisseurs boursiers inscrits en Chine dépassait les 95 millions. Parmi eux des étudiants, des femmes au foyer, des chauffeurs de taxi, et même des moines bouddhistes, sans parler des hommes d’affaires et des membres de professions libérales. La bourse est vue comme la baguette magique qui permet de s’enrichir du jour au lendemain. On rapporte que certains vendent leur maison, retirent leur retraite ou empruntent lourdement par carte bancaire pour pouvoir jouer à la bourse.
Un article de l’édition chinoise du site d’Asia Times du 9 mai, signale que presque un Chinois sur quatorze est désormais investisseur en bourse. Un fonctionnaire de Guangzhou affirme que 90 pour cent de ses collègues achètent des actions. Il dit : « Moi aussi, j’ai acheté pour 20 000 yuan de parts. Quand elles grimperont, je gagnerai en un jour plus que mon salaire mensuel. »
Ma Chunhui, professeur de communication à l’université de Shenzhen a réalisé une étude montrant que 10 pour cent des étudiants de première année de son université avaient investi en bourse. En quatrième année, le pourcentage est de 80 pour cent. Selon lui, « de plus en plus, la première chose que les gens font quand ils arrivent au travail, c’est d’allumer l’ordinateur et d’interroger la bourse. »
Un certain nombre d’analystes ont qualifié les petits investisseurs en bourse de « fous » . Mais leur conduite est la manifestation de processus déclenchés par les contradictions économiques que le Parti communiste chinois, malnommé, a favorisé en développant son programme d’économie de marché à tout va. Avec de maigres salaires et les prix toujours croissants des marchandises et des services tels que ceux de l’éducation ou de la santé, beaucoup de gens se tournent vers la bourse en espérant que celle-ci leur fournira une échappatoire.
La bourse avait été abolie après la révolution de 1949 et n’avait été rétablie qu’à la fin des années 80 pour correspondre à la nouvelle politique d’ouverture au capitalisme de Beijing. Dans les années 90, pourtant, même en pleine bulle spéculative immobilière, la bourse n’avait joué qu’un rôle économique mineur. Les hauts et les bas de la bourse chinoise n’influençaient pas fortement le marché financier mondial.
La tendance de ces dernières années est totalement différente. Pour garder la valeur de change du yuan au plus bas, afin d’assister les exportations, la banque centrale chinoise achète désormais dans l’année jusqu’à 500 milliards de dollars de devises étrangères, créant ainsi une énorme réserve de liquidités en Chine. Afin de maîtriser un excès de liquidités, la banque centrale a, en un an, relevé à sept reprises le taux de réserves obligatoire des banques et augmenté trois fois les taux de base. Mais ces mesures n’ont que peu affecté la bulle des investissements, le gouvernement craignant qu’une forte augmentation des taux d’intérêt ne provoque des faillites d’entreprises, une augmentation du chômage et des mouvements sociaux plus importants.
Les taux d’intérêts réels sont très bas : 2,79 pour cent seulement sur des dépôts à un an, soit moins que le taux d’inflation courant de 3 pour cent. Les revenus des obligations d’Etat sont aussi limités. Il n’est pas question d’investissements à l’étranger puisque le gouvernement limite les transactions en devises étrangères et l’exportation de fonds. En conséquence, des montants énormes se sont reportés sur l’immobilier et désormais, sur la bourse. Beaucoup de salariés voient dans la bourse leur seul moyen d’accroître leurs économies.
Un éditorial du Financial Times prévient : « un marché qui croît de 200 pour cent en moins de 18 mois, et des échanges avec un ratio de rentabilité d’environ 50, cela ne constitue pas nécessairement une bulle. Mais si ça ressemble à un crocodile et sourit comme un crocodile, il vaut mieux le traiter comme un crocodile, au cas où... La bourse chinoise s’est gonflée à un niveau préoccupant et, à cause de la politique chinoise et de l’état de son économie, elle pourrait s’enfler plus encore avant de chuter. »
Le dernier plongeon de la bourse chinoise en 2001 n’a affecté qu’une petite classe d’investisseurs aisés. Mais cette fois, les conséquences d’ordre social pourraient être bien plus sérieuses, puisque le nombre des investisseurs approche désormais les 100 millions. Beaucoup pourraient tout perdre - leur maison, leurs économies, leur retraite - dans une cruelle leçon d’économie capitaliste. Les conséquences sociales et politiques pourraient se révéler explosives.
Source http://www.wsws.org/