De Sylvain Mathon
Quels acteurs détiennent aujourd'hui l'essentiel de l'or physique mondial ? Vous vous dites que ce sont les banques centrales : ne s'en sont-elles pas servi des années durant pour garantir la stabilité de leur devise ? Et n'est-ce pas ce que proclament les chiffres de leurs réserves, qu'elles communiquent obligeamment ?
Les Banques Centrales, décidées à ne plus laisser dormir leur or
Eh bien, pas tout à fait. Voyez-vous, la plupart des banques centrales, depuis vingt ans, se sont lassées d'un actif qui dormait dans leurs coffres et ne rapportait rien. L'âge des monnaies convertibles était passé depuis longtemps : les états se finançaient à coups d'obligations, ce qui impliquait de trouver des prêteurs complaisants. Par ailleurs, les liquidités manquaient.
Malheureusement, vendre publiquement leur or, pour les Banques Centrales, c'était risquer de déclencher un séisme financier... En revanche, elles pouvaient le prêter – ce qui est beaucoup plus discret : car si une Banque Centrale est tenue de déclarer au FMI ses achats, ses ventes et l'état de ses réserves, rien à ce jour ne la force à préciser quelle partie de ses réserves elle a mis en location.
Voici comment fonctionne le juteux gold carry-trade :
La banque centrale prête une certaine quantité d'or à une banque accréditée («Bullion Bank»), à taux d'ami (jusqu'à 0,1%), pour une durée allant d'un mois à dix ans ; immédiatement, la banque emprunteuse met en vente cet or sur le marché – à découvert, donc – et réinvestit les fonds dans des emprunts d'Etat. Elle se rémunère sur le rendement de ces obligations, moins le loyer de l'or (c'est son «carry return»)... Zéro mise initiale, un rendement de 3% à 4% garanti : qui dit mieux ?
Bien entendu, il y a un revers – tout n'est jamais rose en bourse, même pour une banque ! Ici, c'est le risque : la banque est supposée restituer l'or physique à la demande du prêteur.
350 milliards de dollars d'actifs financiers en contrepartie de l'or
Après vingt ans de ce petit jeu, on estime la valeur de ces emprunts à quelque 350 milliards de dollars au cours actuel ! Cela signifie non seulement que les réserves des banques centrales sont constituées pour bonne partie d'or prêté à des banques qui seraient bien en peine de le rembourser... Mais aussi que tout le marché, à l'heure où la demande s'envole et où l'offre se raréfie, est structuré selon un «short» abyssal – des positions à la vente si gigantesques qu'elles ont maintenu les cours au plancher, bien loin des fondamentaux de l'offre minière et de la demande.
Dans ce cas de figure, et selon mon vieil adage «qui dépend de qui ?», la logique du nombre vous commande de passer «long». Tôt ou tard, le défaut de contrepartie va se faire sentir. Quand l'heure des comptes sonnera, que les emprunteurs se verront tenus de racheter 350 milliards de dollars d'or... Il n'est pas fou d'imaginer les cours décupler...