mercredi 30 mai 2007

Immobilier : l'angoisse de la contagion

L'Expansion
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01/06/2007

Immobilier : l'angoisse de la contagion

Les craquements sur les marchés étrangers peuvent-ils se répercuter en France ? Ce n'est pas impossible, même si l'Hexagone présente de solides points de résistance.


Pour José Moreno, promoteur immobilier à Fuenlabrado, au sud-ouest de Madrid, la grande braderie a démarré. Premier prix de ses maisons avec piscine : 84 000 euros, jusqu'à cinq fois moins que les tarifs pratiqués par ses concurrents. A Madrid, un réseau d'agences propose des rabais sur certains logements pendant la période des soldes. Dans toute l'Espagne, c'est le même scénario : les stocks gonflent à vue d'oeil, les prix stagnent, le client se fait rare. Un vent de panique a même soufflé lorsque la Caixa Catalunya a prédit une chute des prix aussi brutale qu'entre 1993 et 1996. Outre-Atlantique, le moral des constructeurs est au plus bas depuis onze ans. « Les mises en chantier de logements ont chuté de 30 % en un an, et les ventes dans le neuf, de près d'un tiers depuis le pic de l'été 2005 », se désole David Seiders, économiste en chef de la National Association of Home Builders, l'association des constructeurs américains.

Hier l'Australie, aujourd'hui l'Espagne et les Etats-Unis. Et demain ? Une chose est sûre : l'angoisse de la contagion monte dans la plupart des grandes villes de la planète. Car l'euphorie immobilière de la dernière décennie a été quasi mondiale, n'épargnant que le Japon et l'Allemagne. « Généralement, le cycle de la pierre dure une dizaine d'années, notent les experts de l'OCDE. Pendant la phase d'expansion, environ six ans, les prix augmentent de 40 % en moyenne. Durant la phase ultérieure de contraction, de près de cinq ans, les prix diminuent d'environ 25 %. » Rien de tel aujourd'hui. A l'échelle mondiale, la hausse a dépassé 100 % depuis dix ans, alimentée par des taux d'intérêt historiquement bas et par un foisonnement d'innovations financières. En France elle avoisine 120 %. « Les prix ont presque partout été propulsés à des niveaux qui, par le passé, se sont révélés difficilement soutenables », assurent les experts d'Exane BNP Paribas. Souvent, le retour de bâton a été douloureux. Sur les 37 périodes de flambée des prix recensées dans le monde depuis 1970, 24 se sont terminées par des chutes effaçant entre un tiers et la totalité de l'envolée, selon l'OCDE.

Le « la » du niveau des taux donné à Wall Street

Reste à évaluer la capacité de résistance des grands pays - et de la France en particulier - à une onde de choc partie des Etats-Unis ou d'Espagne. La question n'est pas anodine : « 40 % des fluctuations des prix immobiliers dans un pays s'expliquent par des influences venues de l'étranger, qu'il s'agisse de la conjoncture économique globale ou d'évolutions plus spécifiques à l'immobilier mais communes à nombre de pays », estiment les économistes du FMI, qui ont ausculté les mouvements de la pierre sur une trentaine d'années dans 18 grands pays.

Première explication à cette communauté de destin : l'environnement économique global. Le monde a connu ces dernières années un véritable âge d'or, avec une croissance qui a frôlé 5 % l'an - du jamais-vu depuis les Trente Glorieuses. Plus de 7 pays sur 10 dans le monde ont enregistré une croissance supérieure à 4 % en 2006, sans le moindre germe inflationniste. Du coup, les ménages, moins inquiets pour leur emploi, ont jugé le moment idéal pour se lancer dans des projets d'avenir. A fortiori avec des taux d'intérêt plus qu'incitatifs. Or ces derniers évoluent aussi à l'unisson. Pour les taux d'intérêt à long terme, qui déterminent la majorité des crédits immobiliers (sauf au Royaume-Uni et en Espagne, où les crédits à taux variable dépendant des taux des banques centrales sont majoritaires), le la est donné par les Etats-Unis. « Lorsqu'ils bougent à Wall Street, ils bougent dans le même sens à Paris dans 96 % des cas », souligne Mathilde Lemoine, directrice des études économiques de HSBC à Paris. Ces derniers temps, ils ont tendance à se tendre un peu, alors que l'économie américaine faiblit : on pourrait rêver meilleure conjonction !

Autre courroie de transmission : l'effet domino d'un marché à l'autre. La récente dégringolade des cours de Bourse des sociétés immobilières espagnoles a jeté le trouble au palais Brongniart. Pour une raison simple : les Espagnols détiendraient presque 30 % de la capitalisation des sociétés foncières cotées à Paris. En cas de problème chez eux, les particuliers étrangers (espagnols, anglais, américains, moyen-orientaux) pourraient rebrousser chemin après avoir massivement pris la route de la France. Ils représentent désormais 6 % des acheteurs, selon les notaires, et jusqu'à 15 % dans les départements prisés du Sud et de l'Ouest, ou dans les beaux quartiers de Paris. Qu'arrivera-t-il si l'immobilier s'effondre à Londres, où les prix sont stratosphériques, ou si les cours du pétrole chutent ?

La démographie, protection antikrach

Dernier grand facteur de contagion : la façon dont les banques appréhendent les risques. Si les impayés commencent à monter en flèche dans un pays où le marché de la pierre vacille, elles auront tendance à octroyer moins facilement des prêts dans d'autres pays en surchauffe immobilière. Et cela menace d'être le cas. Aux Etats-Unis, 2 millions de ménages sont au bord de l'insolvabilité. « Il ne faut pas exclure de fortes restrictions sur le crédit, dont l'effet pourrait se faire sentir hors des Etats-Unis », analyse Olivier Eluère, spécialiste du marché immobilier au Crédit agricole. Au-delà des Pyrénées, la Banque d'Espagne brandit des chiffres alarmants : l'endettement des Espagnols a atteint le record de 833 milliards d'euros en 2006, un bond de 18,6 % en un an, pour représenter plus de 120 % du revenu disponible. Les Français sont moins endettés, mais leur solvabilité s'est dégradée ces dernières années. Leur « taux d'effort », mesuré par le montant de leurs remboursements rapporté à leurs revenus, est passé de 25 % en 2000 à 31 % en 2006, un seuil jugé critique.

Heureusement, si le marché immobilier français n'est pas à l'abri des vents mauvais soufflant de l'étranger, « il peut néanmoins compter sur des fondamentaux nationaux plutôt favorables », rassure Jean-Christophe Caffet, économiste à Natixis. « La démographie, par exemple, explique plus du tiers de la variation des prix de la pierre en France », observe Mathilde Lemoine. Le nombre de ménages a fortement progressé dernièrement (1,2 % par an) du fait de l'allongement de la durée de vie et de l'augmentation du nombre de célibataires, de divorcés et de familles monoparentales. D'où un besoin annuel de 300 000 nouveaux logements. Or l'offre n'a pas suivi. Autre élément de soutien : le bas niveau des taux d'intérêt, aux effets démultipliés par le succès des prêts à taux zéro. En 2006, 200 000 ont été accordés, et ce dispositif d'aide à l'accession à la propriété devrait prendre encore de l'ampleur cette année avec l'assouplissement des conditions d'éligibilité. Bref : vigilance accrue, oui ; panique, non !



Danièle Licata