Le monde des traders et des salles de marchés est un "système de castes" qui démarre dès les grandes écoles, estime Thami Kabbaj, professeur agrégé d'Economie et auteur d'une "Psychologie des grands traders".
Dans une interview accordée à Reuters, cet ancien trader décrit les salles de marchés comme un univers de "dominants" et "dominés", où les membres du front office - les traders - sont dans une position de supériorité hiérarchique face à ceux du middle-office (contrôles des opérations) qui cherchent à atteindre ces postes prestigieux "qui font rêver".
Selon plusieurs professionnels, cette dimension élitiste, très prononcée à la Société générale, a pu contribuer à ce que les irrégularités commises par le trader Jérôme Kerviel n'aient pas été détectées rapidement par la banque, qui a perdu 4,9 milliards d'euros dans l'affaire.
En effet, dans ce type de rapport, les traders peuvent bénéficier d'une certaine indulgence lorsqu'ils sont contrôlés par les opérateurs du middle-office, qui les envient et espèrent les rejoindre, explique Thami Kabbaj.
D'autant plus qu'une partie non négligeable de leurs rémunérations et bonus dépend de la performance des traders, les rendant encore un peu plus enclins "à fermer les yeux" sur certaines pratiques, ajoute-t-il.
A cela s'ajoute le fait que les opérateurs du back et middle office sont souvent de jeunes diplômés, sans expérience pratique du métier et qui, selon lui, "ne comprennent pas la psychologie et la manière de travailler du trader".
Le scénario idéal voudrait pourtant que "pour contrôler un trader il (faille) avoir été trader", regrette-t-il.
Au-delà de ces indulgences et de ce système de domination, Thami Kabbaj estime également que le mythe du trader joue un rôle prépondérant.
"C'est ce mythe qui donne au trader une grande marge de manoeuvre. Cela a été le cas pour Nick Leeson à Singapour, dont les collègues considéraient qu'il ne pouvait pas avoir tort", dit-il.
Nick Leeson est le trader vedette qui a provoqué en 1995 la faillite de la banque britannique Barings après avoir perdu 1,4 milliard de dollars sur des produits dérivés.
"Et puis les salles de marchés sont un monde où l'ego a une place centrale, où l'on peut être pris d'une sensation de toute-puissance. Dans cet environnement, on est amené à vouloir prouver sa valeur aux autres", renchérit l'ancien trader.
"Jérôme Kerviel a sans doute voulu prouver sa valeur, qu'il était le meilleur", estime-t-il.
Mais Thami Kabbaj va plus loin et pointe le fait que la dimension psychologique du métier de trader est souvent reléguée au second plan.
"D'un côté, cette dimension psychologique n'est pas enseignée dans les écoles de commerce. (...) D'un autre, on développe des modèles mathématiques qui donnent l'impression que cela va éviter de commettre des erreurs. Pourtant, l'aspect humain reste déterminant", conclue-t-il.
"Ce métier est dur. C'est un métier de boxeurs. Et Kerviel était très certainement touché", observe-t-il.