Les dépréciations d’actifs enregistrées aujourd’hui sont considérables - plusieurs dizaines de milliards de dollars - mais représentent peu de chose par rapport aux 1 700 milliards de titres en circulation potentiellement contaminés par les subprimes. Les banques, qui tentent de retarder l’heure de solder les pertes, devraient pourtant être contraintes de pratiquer la vérité des prix. Une nouvelle réglementation les oblige à faire le ménage dans les valorisations théoriques qu’elles persistent à utiliser.
Les pertes récentes enregistrées par Merril Lynch, 7,8 milliards et Citigroup, de 8 à 11 milliards, ont fait les gros titres de la presse. Mais elles ne représentent qu’une toute petite partie des sommes qui pourraient partir en fumée. Ce sont des centaines de milliards qui sont en jeu.
Selon la Banque d’Angleterre le montant total des titres émis sur des subprimes avoisine les 700 milliards de dollars et atteint 600 milliards pour les Alt-A, la catégorie intermédiaire.
Les CDO, ces titres émis sur d’autres titres, dont certains appartiennent aux subprimes, totalisent quant à eux 390 milliards de dollars.
Les titres adossés à des emprunts « primes » pourraient eux-aussi être mis en difficulté. Avec la baisse de l’immobilier les emprunteurs réputés solvables vont se retrouver dans le rouge, endettés pour une valeur supérieure à celle de leur bien.
Cet effet domino commence également à se faire ressentir dans le secteur des crédits à la consommation, qui sont titrisés à hauteur de 900 milliards, et des crédits auto, où les défauts de paiement sont également en hausse.
Dépréciations d’actifs
Les différents indices ABX qui reflètent la valeur des titres en fonction de leurs notations, ont fortement baissé. Les titres notés BBB ont perdu plus de 80% de leur valeur et les catégories AAA et AA de 20% à 50%.
Mais la plupart des institutions financières ont à peine commencé à prendre en compte dans leurs bilans ces pertes.
Selon le Financial Times, les analystes de Merrill Lynch ont calculé que les obligations basées sur l’ABX de notation moyenne ont perdu 60% de leur valeur. Mais ces mêmes analystes constatent que Merrill Lynch continue de valoriser ce type d’actif à 63% du nominal et UBS à 9O%. « Un calcul élémentaire montre que UBS devrait encore déprécier de 8 milliards ses actifs, si le prix donné par l’ABX est correct, » déclarent-t-ils.
La FASB 157
Nouvelle difficulté à l’horizon, l’administration américaine introduit à partir du 15 novembre une réglementation, la FASB 157, qui fait obligations à ces établissements de pratiquer une plus grande transparence dans leurs méthodes comptables en les contraignant à catégoriser les actifs selon le type de valorisation utilisé, et de publier les montants totaux relevant de chaque catégorie.
Jusqu’à présent les entreprises pouvaient choisir plus ou moins à leur guise entre deux méthodes de comptabilisation de leurs avoirs : « marked to market » ou « marked to model », c’est-à-dire soit en fonction d’un prix observé lors d’une transaction soit d’un modèle théorique mathématique concocté maison.
C’est l’usage de la comptabilisation selon le « modèle » qui leur permet en ce moment de continuer à valoriser à des montants fictifs, en arguant qu’elles attendent un retour à la normale de plus en plus hypothétique.
La nouvelle réglementation tente de mettre de l’ordre dans ces artifices en leur faisant obligation d’utiliser des valorisations équitables (fair value) en une hiérarchie à trois niveaux répartissant les actifs en fonction de leur liquidité, selon qu’un prix soit connu (niveau 1), observable (niveau 2), rarement ou jamais observé (niveau 3).
Le niveau 3, celui des valorisations théoriques, étant réservé aux actifs réellement illiquides, sans prix connu, Il sera désormais plus difficile de conserver certains titres dans cette catégorie dans la mesure où des transactions auront eu lieu. Les banques, au fur et à mesure qu’elles vont appliquer cette nouvelle norme comptable, devraient donc procéder à des dépréciations d’actifs.
Mais la FASB 157 entraine également une autre conséquence désagréable. En obligeant les établissements à chiffrer le montant de leurs avoirs illiquides, elle rend disponible une évaluation de leur exposition en cas de stress sévère sur leurs fonds propres.
Les observateurs commencent déjà à calculer les ratios actifs de niveau 3/capitaux propres pour les plus grandes banques américaines. Voici un tableau réalisé à partir des données publiées sur le site de Nouriel Roubini :
Milliards de dollars
Banque | Capitaux propres | Actifs de niveau 3 | Ratio |
Citigroup | 128 | 135 | 105% |
Goldman Sachs | 39 | 72 | 185% |
Morgan Stanley | 35 | 88 | 251% |
Bear Stearns | 13 | 20 | 154% |
Lehman Brothers | 22 | 35 | 159% |
Merrill Lynch | 42 | 16 | 38% |
Comme on le voit, le risque est loin d’être négligeable. Car en ces temps troublés, de l’illiquide à l’invendable il n’y a qu’un pas.
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